mardi 11 août 2015


Notes de lectures récentes:  Portrait du colonialisme.

Extrait de Portrait du colonialisme par Jérémie Piolat. Éditions La Découverte. Paris, 2011.

"Le principe fondateur du chantage colonial va aussi faire son chemin dans la tête des colonisés. Ils commencent à penser qu'ils sont inférieurs que leurs richesses culturelles, leurs pensées, leurs créations, leurs dieux ne valent rien puisqu'ils n'empêchent pas leur écrasement recommencé chaque jour. Le critère de la force- sous la forme militaire, technologique ou économique- amène le dominé à adopter le constat du dominant. Les colonisés adoptent alors la position du perdant qui a été façonné pour eux par les dominants. C'est la forme la plus aboutie de la colonisation: le dominé intériorise et reproduit le discours infériorisant du dominant."(p.54).

À ce moment là, le descendant de colonisé ne cesse de se mettre dans l'obligation de prouver qu'il peut être l'égal du descendant du colon avec tout ce que que cela implique: exister, vivre, se comporter, sur les mêmes modes que ce dernier. Fanon a beaucoup parlé de l'image que le colon proposait au colonisé. (p.55).

Les migrants connaissent souvent une sorte de double existence qui est la conséquence d'une double identité: l'identité traditionnelle originelle vécue et aimée, et l'identité blessée, diminuée, du colonisé ou du descendant du colonisé. (p.64).

Tant que les critères d'évaluation qui accompagnent la dépendance économique resteront les mêmes, la question de l'infériorisation persistera. La réussite du descendant du colonisé restera dépendante de l'évaluation qu'en fera la métropole. Nous ne sortirons pas de la spirale originelle du traumatisme colonial. Pour sortir de la dépendance économique, le descendant du colon doit réussir en fonction de stricts critères qui sont ceux en vigueur dans la métropole. (p.67).

La performance à laquelle on les (sans-papiers) a préparés a fini par les faire ressembler à ce que les professeurs pensent d'eux: ce sont des "sans". Ils doivent tout reprendre à zéro. Ils n'ont pas de savoirs propres. Cette performance les nie à un tel point, qu'en termes rythmique, mélodique, ils sont devenus des débutants et des ignorants. (p.92).

Comment faire pour que les migrants retrouvent en apprenant le français un peu de la puissance expressive qu'ils possèdent lorsqu'ils parlent leur langue maternelle? (p.96).

Au fil du parcours social, les migrants apprennent à faire profil bas, à se méfier de ce qu'ils disent ou portent ou sont ou pensent. (p.104).

Le migrant apprend vite qu'il n'est pas là pour nous raconter, pour nous apprendre, mais pour nous renseigner. (p.108).

Reclaim reste un mot difficile à traduire. Au-delà des traductions officielles comme reconquérir ou réclamer. Il faut sans doute des phrases entières et non des mots pour le traduire. Reclaim, c'est reconquérir en recréant, c'est réapprendre à invoquer le lien qui a été perdu, apprendre à se battre, renforcés de ce lien qui avait été perdu. (p.143)

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Réflexions personnelles: En lisant ce livre il y a quelques mois, plusieurs émotions se sont éveillées en moi. La colère, la tristesse, la joie, la paix, la douleur émotionnelle et malgré tout l'espoir. Le descendant du colonisateur a deux comportements: soit il est conscient de "son héritage" et il en use et en abuse, soit il le rejette et sombre dans une sorte de schizophrénie. Qui voudrait d'un tel héritage?
Et qu'en est-il du colonisé? Il est soit comme le décrit l'auteur celui qui intériorise son infériorité "hérité" acceptée de facto et il devient un imitateur sans âme. Ou alors il rejette cette infériorité et s'enferme dans un afrocentrisme totalement déluré.

Heureusement que ces deux héritiers, celui du colonisateur et celui du colonisé, peuvent ne pas puiser leur identité de ces narrations mais plutôt de leur volonté de reclaim, dans le sens de reconquérir leur humanité en la recréant. Cette nouvelle humanité ne sera pas basée sur une histoire de domination, de dépendance et de supériorité ou d'infériorité mais plutôt sur l'acceptation de soi et son ancrage dans la foi.